Je venais. Je roulais mais je m
souvenais que je marchais. J’écoutais cette chanson tant aimée des années 70 et
je restais pétrifiée dans mon passé. La nostalgie. Partout il y en a des
poches, mes yeux mêmes en témoignent. Je marchais dans Londres. Je marchais
dans Amsterdam, je les entendais chantant marcher dans New York. Ma jeunesse
enfuie refluait, cette jeunesse qui fait pleurer 2 fois, 1 fois quand on la
quitte, une fois quand on s’en souvient. Je marchais sur les trottoirs mouillés
luisants des enseignes. C’était toujours l’hiver. Je cherchais ma vie. J’allais
quelque part sans savoir où j’allais. Mes désirs étaient déjà des souvenirs.
C’était toujours à l’étranger, là où l’on peut se perdre plus facilement,
racines flottant au ras du bitume, langue en pointillés. Il n’était pas
toujours très tard mais le septentrion apportait la nuit plus tôt, la nuit
tombait d’un coup. Parfois je n’étais pas seule, mais si quand même car je
marchais sur mes traces ; seulement en compagnie. On a souvent fait parler
les fenêtres. Celles-ci ne me disaient rien. La solitude empilée des gens qui
s’agitaient dedans pour préparer le repas, s’endormaient devant leur poste de
télévision, couchaient leurs enfants. Je n’étais pas concernée. J’étais dehors.
D’autres fenêtres énigmatiques. Celles des bureaux dans les grands immeubles où
le jour se tissent les affaires du monde, tours de garde dans la nuit, torches,
phares, négativant la lumière des étoiles, tirant sur nous le couvercle du
ciel. Personne au monde ne savait où j’étais.
La chanson s’est tue. Les images
ont repris peu à peu leur place dans mes poches. Ma gorge s’est un peu dénouée,
je suis sortie de ma voiture en respirant à grandes goulées l’air humide de la
nuit.
* le titre (seulement) est de Robert Walser : le territoire du crayon. Microgrammes
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