2.5.11

visite

nous nous tenons les mains
nous emboîtons nos mains
pas de vide
je caresse de ma paume fraîche
la peau fleurie aux fleurs de cimetière

elle dit : oh ça fait du bien une main plus fraîche
elle dit : je t'aime tellement
mais on a beau s'aimer le plus qu'on peut...

elle dit vivement que je parte
je dis où ça ? 
...
chez toi ?
elle dit oui peut être chez moi
plus tard elle dit : vivement que ça finisse

nos mains se serrent plus fort
nos cœurs ...
en tout cas le mien
puisque le sien n'a plus assez de force

j'essaie de contenir mes larmes
elle me dit il ne faut pas pleurer
elle ne pleure pas
elle dit encore j'ai mal partout
vivement que je parte
je dois partir
je dois retourner au monde qui bouillonne
je dois la laisser
dans le sommeil pour cette fois encore
je l'embrasse
je n'arrive pas à partir
une dame à étiquette jaune vient s'asseoir avec nous
me donne quelques explications sans artifice
lui parle avec respect, lui demande ce qu'elle voudrait, là, ou demain
elle est gentille, je veux dire, humaine, 
elle fait bien son travail de soignante humaine
la dame d'à côté prépare ses bagages
plie ses grandes culottes comme des couches
avec des gestes comme on en ferait pour des bébés monstrueux
et dit "allez, sans adieu"

ma mère m'envoie un baiser
de sa main que je viens de lâcher
comme d'habitude, je me dis que c'est peut être le dernier
j'ai envie de revenir 
pour la serrer encore
mais je ne le fais pas
il y aura toujours un moment qui sera le dernier
il faut accepter qu'un moment soit le dernier
il faut il faut se dire des phrases, se raisonner, commencer à s'habituer
il faut regarder encore une fois
il faut que ce il fasse à notre place
penser à des choses qui adouciraient cette fin
s'étonner d'être aussi ému, sans carapace soudain
écrire cela pour être encore avec elle



5 commentaires:

Ange-gabrielle a dit…

Je pense à toi, à elle, suis avec toi,même les mots tiennent mal à distance, et il arrive un moment où on se dit "mais je ne lui avais pas encore dit ça",je te serre dans mes bras

Lin a dit…

ça prend dans la gorge, oui il y a toujours une dernière fois, la première elle te prenait dans ses bras, tu étais toute vulnérable, elle aussi, elle aussi toi aussi là.

jieffebi a dit…

Oui, moi qui n'en ai pas souvent j'ai les larmes aux yeux que tu dises si bien ce qu'on ne sait pas dire. je t'embrasse.

Linette a dit…

Gorge serrée, yeux troublés, envie de te serrer dans mes bras, de te bercer comme elle l'a peut-être fait...Tes mots sont si forts à travers leur douleur, si pudiques et si impudiques, beaux dans leur capacité à dire le vrai des dernières fois, des "reste-encore je veux te dire quelque chose à l'oreille".Je t'embrasse très, très fort...

béatrice a dit…

Elle semble si douce ta maman, comme un petit oiseau fragile qui a besoin qu'on le raccompagne dans son nid et tu la bordes, doucement.
Au delà de la tristesse c'est l'amour que je sens dans ce que tu exprimes qui me touche et... m'impressionne.
Pensées pour toi, et pour elle.