25.9.11

Comment je n'ai pas vidé la maison de mes parents

Hier j'ai rendu la clé.
C'était une clé fushia, que je pouvais facilement reconnaître au milieu du trousseau, digne de celui d'une sœur tourière. Elle ne me servait pas souvent car je n'avais aucune raison d'ouvrir avec la clé, puisqu'il y avait quelqu'un à l'intérieur pour me dire "Entrez" ; c'était juste "au cas où", celle qui aurait pu me dire d'entrer aurait été dans l'incapacité de le dire, soit par trop grande surdité, soit parce qu'elle aurait été inconsciente, tombée contre la baignoire, ou au pied de son lit et que l'alarme se serait déclenchée et que et que ... 
Depuis 6 mois la clé n'ouvrait la porte que sur du vide encore plein. 
Hier pour la dernière fois, elle a ouvert sur du vide vide, qui résonnait de l'absence, de la mort, et de la place nette. Je venais chercher quelques derniers oripeaux ménagers, de ceux qui continuent la vie : frigo, cuisinière, table familiale et chaises. Mon frère avec qui un lavage de linge sale avait eu lieu une semaine auparavant, avait emporté la machine à laver.
J'ai refermé la porte sur mon enfance et mes nuits sans chambre attitrée, sur cet entassement d'humains sans territoire, sur les fins de dimanches lourds du retour de mon père tanguant, sur les repas de soir de Noël un peu tristes,même si on faisait semblant, sur les petits matins-aux-croissants de mon adolescence qui étouffait, sur les nuits de mes années vingt entre 2 adresses, assise dehors sur les escaliers de l'immeuble, à disserter sur "Le diable et le bon dieu", à raconter le Pérou et le Népal à celui qui n'y était pas allé, j'ai refermé la porte sur les pleurs de ma mère assise dans le noir, m'attendant certains samedis soirs, me faisant honte du haut du balcon certains autres alors que mon petit ami me raccompagnait. J'ai refermé la porte des dimanches après midi de scrabble, de tricot, on échangeait du linge propre contre des livres. J'ai refermé la porte sur les visites avec sa petite fille qu'elle aimait tant, sur ces moments si doux de nos 3 générations réunies.
Au dernier moment, j'avais décroché le miroir de la salle de bain, délaissé, rond caractéristique des années 70, blanc jauni. 
Je n'espère pas y voir au fil des ans les visages de ma mère.Seulement un peu.

1 commentaire:

Lin a dit…

magnifique texte, larmes. Mais j'y espère aussi le début d'un roman, pourquoi pas? ces mots sonnent comme le début d'une nouvelle création. Je pense à l'étranger, aux premiers mots du livre, hier maman...