26.6.12

Chère F.

Ce matin en arrivant au travail on m'a annoncé que tu étais morte pendant le week-end. Tu as dû mourir seule puisqu'on t'a trouvée inanimée dans ton appartement. Morte seule puisque vivant seule et parlant seule, partant en vacances seule, déménageant seule, depuis bien longtemps. Parfois certains d'entre nous essayaient un brin de conversation mais les mots étaient coincés dans ton thorax, ça se voyait, parfois ils ressortaient sous forme de fumée, ou de sourire mi rire, quelque chose de rauque et de caverneux, qui n'avait qu'une note, et encore ... Dans ce cas-là on te quittait à peu près rasséréné, on se disait que c'était le mieux qu'on pouvait faire, te faire sous-rire, parce que je ne crois pas qu'aucun d'entre nous t'aie entendue rire haut, pour de bon. Les autres jours, on n'avait pas toujours le temps de te faire une bise, tu te penchais un peu, on avait peur que tu te casses en deux, avec tes petits os de maigre, on te disait bonjour à la va vite, on savait bien que tu n'aimais pas ce nouveau "poste", où tu te sentais reléguée et déclassée alors que tu étais au vu de tous. ça offensait ton besoin de te fondre, cette peur de ne pas savoir où te mettre ou que faire de toi. Ici aujourd'hui tout le monde est "un peu" bouleversé. On t'appelle par ton prénom, on ne dit plus ton nom d'arbre, on est effrayé et scandalisé par cette fugacité de la vie. On parle de toi en essayant de comprendre, certains connaissent des anecdotes qui contredisent ton image, comme un avant et un après. On ne sait rien. On travaille avec des gens, on ne prend plus le temps, on ne sait plus s'y prendre. Un jour on revient de week end et on apprend qu'ils sont morts et c'est tout. On relativise cinq minutes nos petites misères, on se met à la place de et puis le temps passera et on oubliera que derrière la vitre, tu étais là, fantomatique et énigmatique, et à la rentrée prochaine on ne se rappellera plus si finalement tu as eu ta "mute" ou si on t'a mise dans un autre placard, un peu plus loin. Je ne sais pas où tu muteras chère F. ni s'il y aura des livres pour te faire rêver, pour l'instant  tu n'es nulle part, l'idée que tu es morte n'es pas encore arrivée dans ma tête.

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