13.11.19

le E muette


Performance réalisée en janvier 2019 à la Salle des cimaises, à St Etienne, dans le cadre de l'expo collective SILENCE(S) par Combinaisons
Avec les sténopés de Diane Lentin et le montage sonore réalisé à partir d'interviews de femmes pendant le temps de pose des sténopés,  :
https://dianelentin.wixsite.com/diane-lentin/le-e-muette



Pendant que les autres se taisent

Nous ne sommes pas dans le silence
Nous peignons la girafe avec les mots de notre hiérarchie
Nous rêvons d’avoir des secrets
Nous n’avons rien à dire mais
Nous ne sommes pas dans le silence
  
Nous peignons la girafe
Ses longs cheveux tombant sur ses yeux,
Doux comme des secrets de polichinelle
Nous nous enlisons sous sa croupe en cabane
Nous ne sommes pas dans le silence 
  
Nous courons le guilledou
Nous multiplions les contradictions
Nous interceptons les bruits de la vie
Nous oublions la girafe qui pleure parce que
Nous ne la peignons plus
Nous ne sommes pas dans le silence
   
Nous ne sommes pas dans le silence
Nous rêvons de nous endormir auprès d’une girafe
Au creux d’un buisson
Nous ne sommes pas dans le silence
Nous nous accrochons à sa queue pour ne pas nous noyer
   
Nous ne sommes pas dans le silence
Nous ne savons pas où il est
Nous sommes hiérarchiquement sûres de l’imposer
Par la force de notre silence si nécessaire
Mais nous mourrions de peur
Si nous devions affronter ses secrets

Pendant que les autres se taisent
Penchés sur leurs pensées
Je regarde jaillir des gerbes d’oiseaux
J’imagine la vie qui va avec les bruits
Je pense aux girafes que j’ai connues et que je n’ai pas peignées
Je pense aux secrets que je n’ai pas su garder
Et qui sont allés courir le guilledou à travers champs
Je pense aux clés dont j’ai perdu la serrure
Aux silences de mort
Qui font mourir à petits feux
Je pense à tous les silences brisés
Que je n’ai jamais su recoller
Je pense à toutes les conversations
Qu’il aurait mieux valu laisser s’enliser
Je pense à toutes les hiérarchies
Qu’il faut encore combattre
Avant de pouvoir prendre la clé des champs du silence

Nous sommes à une charnière. Pour un e muet, quel rapport avec charnier ? je cherche l’étymologie, j’essaie de me rappeler qu’il ne faut pas faire de l’alcool de mots, ne pas y mettre de h, ne pas les couper en morceau. Quel rapport avec chair niée et muette, le féminin qu'on n'entend pas, LES FEMMES ONT droit AU  DEVOIR de silence, Pas une question de genre on ne le taira jamais assez, une question de trique, de clou enfoncé dans la gorge. Soumises à la question, elles avaient intérêt à donner la bonne réponse, mais dans tous les cas, elles avaient faux.  Quelqu'un ! Faites que cette petite fille arrête de hurler, que sa mère arrête de lui crier dessus, que sa mère rentre et la couche, et se couche aussi, que le monde entier se couche, à chaque fois je me sens coupable de ne pas m'ingérer, de manger mes propres mots de silence. J'accumule du matériau, je fais des listes sur une pensée en 2 colonnes le positif d'un côté le reste de l'autre une longue phrase avec des dents, comme un piège à loups qui se referme sur moi dans cette salle des pas et du temps perdus, depuis combien d'heures    je ne savais pas qu'on pouvait atteindre un tel seuil de fatigue et être encore vivante, si ça se trouve je suis morte et personne ne m'a prévenue, je suis dans l'antichambre de quelque chose, je ne suis pas dans le silence
Comme j'aimerais bercer cette petite fille la câliner la déposer endormie dans sa poussette, rasséréner sa mère
allez… Arrête, clame toi, tu as plus que l’âge de raison, l’âge de ta majorité silencieuse, un temps perdu de survivante, "nous sommes à une charnière" et moi je suis sortie de mes gonds, c'est con,
"il faut que nous prenions du recul" peut-être qu'à force d'en prendre on tombe à la renverse, on la ferme pour de bon, quand on dit ça c'est qu'on en a déjà pris "j'ai besoin de réfléchir", miroir mon beau miroir… et moi de dormir, dormir.


Nous ne sommes plus dans le silence
Nous écrivons l'histoire avec des mots à l'encre sèche comme de la bouse sèche,
pleine d’indices et d’immondices
Nous sautons la barrière de la langue comme des moutons enragés
Nous ne nous cassons plus les dents sur les masques de plomb
et nous ne sommes plus dans le silence
Nous devenons sourdes aux mots qui bouchent, mais fluides aux humeurs de nos corps
Nous sommes nées du silence de nos mères
De l'amour avec lequel elles nous portaient en secret mais elles ne pouvaient pas toujours serrer les cuisses
Elles faisaient leur devoir en silence, par la fente du vêtement qui leur permettait aussi de pisser debout
Et on a beau nous dire que nous sommes les enfants de l'amour
Et que parfois c’est vrai aussi
Nous sommes les enfants du silence
Nous avons laissé nos mères s'en aller avec leurs entremots, leurs blancs de poissons muettes comme des carpes, muettes comme des e muettes.

Nous avons cassé les machines à avaler les couleuvres
Après en avoir tant avalé
Nous sommes devenues serpentes, expertes en langue de vipère
Consonne voyelle voyelle qu’on sonne
Nous ne sommes plus dans le silence


Entre le « PAS » et le « PLUS » il y a la guerre
et c'est dommage
Mais nous n'avons pas d'autre endroit où aller
Nous ne nous cachons plus dans des buissons de silence piquant
Nous relevons nos jupes et pissons debout
Nous montrons nos seins nous montrons nos langues
Nous mettons nos mains en cornet devant nos bouches et
Nous ne nous calmons pas
Nous nous clamons
Nous sommes hystériques
et froides
Nous sommes silencieuses par ce que nous le valons bien
Nous peignons nos longues crinières de girafe
Nous rasons nos cheveux de collaboratrices avec l’ennemi
Nous nous hissons sur nos ergotes
Nous parlons franc, d'homme à homme
Nous avons rendu le souffle au e muet
Nous lui avons mis des sonnettes
Nous avons choisi la langue où toutes les lettres se prononcent
Nous avons appris la boxe, nous  levons  les  jambes  aussi  haut  que nécessaire
Nous montrons nos seins pendants
Nous montrons nos langues à vif
Nous mettons nos mains en cornet devant nos bouches pour crier encore plus fort
Nous relevons nos jupes,
Baissons nos pantalons
Et pissons debout

Nous nous clamons d’abord
Et nous calmerons après.

Peut-être.



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