15.4.21

Cri rouge, jardin se créé

Ce coin de terre où je me terre pour panser mes pensées impies,

Entre le triomphe orange des soucis

Et la transparence d’un narcisse.

Les fleurs du drame murmurent avec dépit

Au mur des cathédrales végétales

Avec le temps qui s’enfeuille au rempart de ma funèbre ancolie.

 

Je me déporte vers ton ombre rouillée,

Là où glougloutait la source de nos malentendus,

Dans le jardin muet de mes scolopendres tristes.

 

Je me souviens de ta voix de téléphone

 

À la Saint Proust,

Quand la clameur de mes remords

Venait crever le vert-de-gris de ma désespérance,

Sous les premières gelées des hortensias bleus dorés.

  

Dans mon jardin d’outre monde,

Je cultiverai les voix ultramarines de la sagesse,

Les voix de mes morts inconsolables.

Dans un coin d’ombre,

Les mélopées hautes et frères de mes souvenirs d’avance,

Du temps où je parlais avec les arbres.

 

 J’y cultiverai

Une herbe douce pour emmieller ma gorge

Et en faire enfin jaillir le cri rouge enchâssé

Une herbe odorante pour parfumer mes mots de badiane et d’anis

À toute faim utile

Une herbe à quatre feuilles pour le bonheur du jour

Et la chance que je ne sais pas tenter

Une herbe à chats pour miauler à la pleine lune

Dans l’orchestre de l’entre chiens et loups.

 

Et quelques daturas, pour couler dans mes rêves

La fureur de mes ennemis.

 

  Errer droit, haut debout,

Effacer son chemin

Parmi les herbes fichées comme des lames,

Comme des épées,

Matières ensanglanteresses qui font les belles cicatrices violettes,

Et dont on aura beau jeu, plus tard, de conter les boursouflures.

 

Dans mon quartier sensible

Engoncée de ronces et d’immortelles

Je tends l’oreille au moindre de tes signes

 

Tes yeux bleus sont partis charmer l’éternité

Et tes longues mains franches aux veines de sculpture

Tournent les pages d’un livre jamais achevé.

 

Tu m’avais dit, tu m’avais dit…

Mais on dit tant de choses…

 

 Le jardin s’endort, mais pas moi.

Le jardin parle silence aux oiseaux de nuit.

Mais pas moi.

 

Jardin-élixir-les-dombes

Des tombes où ne poussent que les âmes décharnées

Où s’époumonent des soupirs de fanfreluches dégingandées

 

On entend parfois entre deux pierres pleurer un chrysanthème.

 

 Puis vient la neige dans son solfège étouffé,

Le jardin chante blanc avec sa peau humide,

Et sous le manteau

Grouille le vert,

Susurre l’humus,

Éclate le chœur des jonquilles et des crocus safran ou mauves.

Sous la chanson du blanc, se prépare une symphonie de violettes,

Une explosion de balsamines.

Je repousse l’hiver autant que fer-retourné-dans-la-plaie se peut ;

Je reste à la fenêtre, plantée loin de mes racines.


 Sous une pierre

Un bruit de mousse

Une odeur de pin - d’épicéa -

Tout l’or du monde

Un désert de géométrie

Un rempart de vent

Une égratignure de persil.

 

Se mettre à genoux

Pour caresser la peau de la terre,

L’ensemencer en la priant de se faire belle.

L’ausculter, la palper

Comme on attendrait un verdict.

Réciter Arthur

Afin que le printemps soit ivre et courageux

Puis dans le tumulte de tout ce qui croît

Manger le silence à pleines mains.

 

Dans cet autre jardin semé des voix de mes ancêtres.

Au pied de leur marbre, les mots agrippés disent encore

Combien ils nous veulent,

De quel bois ils nous chaufferaient si l’envie les prenait.

Je leur sanglote à voix lasse le désir de les compter parmi moi,

Dans le feu de mes actions et le reflet de mon visage,

À mon corps défendant.

Je leur narre par le menu

Les errances de mes gènes ensorcelés par leur précédence.

Les fleurs fleurissent de leur poussière,

La tendresse et le dédain de leur amour défunt

Irisent de rosée

Le souffle lent à la corolle de mes yeux.

Ils disent que là-dessous il fait noir

Et qu’ils ont besoin de nous pour les cueillir,

Les accueillir et les reconnaître,

Pour faire s’envoler leur âme

De nos mains fastigiées.

J’écoute les voix et recueille les mots,

Je les mets à sécher dans des dictionnaires,

Pour les retrouver le moment venu,

Lorsque, à court de sens, je consulterai les oracles.

Et vous,

Immarcescible,

Votre voix inconnue résonne dans mon jardin secret.

Elle y côtoie les chœurs de mes amours virtuelles - mais vivaces –

Alignées dans leur carré de simples,

Parmi le basilic et la mandragore, la belladone et les forget-me-not.

Depuis longtemps vos mots inarticulés sur l’écran de nos vies fictives,

Effleurées entre deux indices,

Allument tous les maux de mes manques,

Qu’aucune tisane ne peut étancher,

Qu’aucun cataplasme ne peut apaiser,

Qu’aucun glossographe ne pourra jamais déchiffrer.

 

Je me promène dans les allées de mes non avenues quadriennales,

Parmi les odeurs bouleversantes de l’enfance,

Là où prennent racine tous les démons affamés,

Là où poussent les ailes des anges

Que je convoque parfois

Pour qu’ils me chantent l’air pur d’une histoire sans histoires.

 

Et cette année encore, je rends grâce à la flamboyance,

À la régularité de la lune

Et au murmure mélancolique des fontaines.


Table des Matières

 1.               Source des malentendus : Voix de taire

2.             Saint Proust –l’amour passe ou prend racine-

3.             Coin d’ombre : Voix d’eau

4.             Serre des voix voilées : Voix de gorge

5.             Terra incognita : Voix de sang

6.             Voix d’opale

7.             Voix de nuit

8.             Voix de nacre

9.             Jardin des âmes errantes : Voix des dombes

10.          Voix du miroir ou de la terre qui réfléchit

11.           Noli me tangere

12.          Carré des ancêtres : Voix de marbre

13.                    Jardin des simples : Langue de pierre

 

2 commentaires:

Ange-gabrielle a dit…

Je n'avais toujours pas lu.Ce matin, j'ai pris le temps, lentement, en savourant les mots. Merci

MarieBipe REDON a dit…

Je ne l'avais pas lu depuis longtemps et finalement je l'aime à nouveau (grâce à toi, Ange-Gabrielle)