Ce coin de terre où je me terre pour panser mes pensées impies,
Entre le triomphe orange des soucis
Et la transparence d’un narcisse.
Les fleurs du drame murmurent avec dépit
Au mur des cathédrales végétales
Avec le temps qui s’enfeuille au rempart de ma
funèbre ancolie.
Je me déporte vers ton ombre rouillée,
Là où glougloutait la source de nos malentendus,
Dans le jardin muet de mes scolopendres tristes.
Je me souviens de ta voix de téléphone
À
Quand la clameur de mes remords
Venait crever le vert-de-gris de ma désespérance,
Sous les premières gelées des hortensias bleus
dorés.
Dans mon jardin d’outre monde,
Je cultiverai les voix ultramarines de la sagesse,
Les voix de mes morts inconsolables.
Dans un coin d’ombre,
Les mélopées hautes et frères de mes souvenirs
d’avance,
Du temps où je parlais avec les arbres.
Une herbe douce pour emmieller ma gorge
Et en faire enfin jaillir le cri rouge enchâssé
Une herbe odorante pour parfumer mes mots de
badiane et d’anis
À toute faim utile
Une herbe à quatre feuilles pour le bonheur du
jour
Et la chance que je ne sais pas tenter
Une herbe à chats pour miauler à la pleine lune
Dans l’orchestre de l’entre chiens et loups.
Et quelques daturas, pour couler dans mes rêves
La fureur de mes ennemis.
Effacer son chemin
Parmi les herbes fichées comme des lames,
Comme des épées,
Matières ensanglanteresses qui font les belles
cicatrices violettes,
Et dont on aura beau jeu, plus tard, de conter les
boursouflures.
Dans mon quartier sensible
Engoncée de ronces et d’immortelles
Je tends l’oreille au moindre de tes signes
Tes yeux bleus sont partis charmer l’éternité
Et tes longues mains franches aux veines de
sculpture
Tournent les pages d’un livre jamais achevé.
Tu m’avais dit, tu m’avais dit…
Mais on dit tant de choses…
Le jardin parle silence aux oiseaux de nuit.
Mais pas moi.
Jardin-élixir-les-dombes
Des tombes où ne poussent que les âmes décharnées
Où s’époumonent des soupirs de fanfreluches
dégingandées
On entend parfois entre deux pierres pleurer un
chrysanthème.
Le jardin chante blanc avec sa peau humide,
Et sous le manteau
Grouille le vert,
Susurre l’humus,
Éclate le chœur des jonquilles et des crocus
safran ou mauves.
Sous la chanson du blanc, se prépare une symphonie
de violettes,
Une explosion de balsamines.
Je repousse l’hiver autant que
fer-retourné-dans-la-plaie se peut ;
Je reste à la fenêtre, plantée loin de mes
racines.
Un bruit de mousse
Une odeur de pin - d’épicéa -
Tout l’or du monde
Un désert de géométrie
Un rempart de vent
Une égratignure de persil.
Se mettre à genoux
Pour caresser la peau de la terre,
L’ensemencer en la priant de se faire belle.
L’ausculter, la palper
Comme on attendrait un verdict.
Réciter Arthur
Afin que le printemps soit ivre et
courageux
Puis dans le tumulte de tout ce qui croît
Manger le silence à pleines mains.
Dans cet autre jardin semé des voix de
mes ancêtres.
Au pied de leur marbre, les mots agrippés disent
encore
Combien ils nous veulent,
De quel bois ils nous chaufferaient si l’envie les
prenait.
Je leur sanglote à voix lasse le désir de les
compter parmi moi,
Dans le feu de mes actions et le reflet de mon
visage,
À mon corps défendant.
Je leur narre par le menu
Les errances de mes gènes ensorcelés par leur
précédence.
Les fleurs fleurissent de leur poussière,
La tendresse et le dédain de leur amour défunt
Irisent de rosée
Le souffle lent à la corolle de mes yeux.
Ils disent que là-dessous il fait noir
Et qu’ils ont besoin de nous pour les cueillir,
Les accueillir et les reconnaître,
Pour faire s’envoler leur âme
De nos mains fastigiées.
J’écoute les voix et recueille les mots,
Je les mets à sécher dans des dictionnaires,
Pour les retrouver le moment venu,
Lorsque, à court de sens, je consulterai les
oracles.
Et vous,
Immarcescible,
Votre voix inconnue résonne dans mon jardin
secret.
Elle y côtoie les chœurs de mes amours virtuelles
- mais vivaces –
Alignées dans leur carré de simples,
Parmi le basilic et la mandragore, la belladone et
les forget-me-not.
Depuis longtemps vos mots inarticulés sur l’écran
de nos vies fictives,
Effleurées entre deux indices,
Allument tous les maux de mes manques,
Qu’aucune tisane ne peut étancher,
Qu’aucun cataplasme ne peut apaiser,
Qu’aucun glossographe ne pourra jamais déchiffrer.
Je me promène dans les allées de mes non avenues
quadriennales,
Parmi les odeurs bouleversantes de l’enfance,
Là où prennent racine tous les démons affamés,
Là où poussent les ailes des anges
Que je convoque parfois
Pour qu’ils me chantent l’air pur d’une histoire
sans histoires.
Et cette année encore, je rends grâce à la
flamboyance,
À la régularité de la lune
Et au murmure mélancolique des fontaines.
Table des Matières
2. Saint Proust –l’amour passe ou prend
racine-
3. Coin d’ombre : Voix d’eau
4. Serre des voix voilées : Voix de
gorge
5. Terra incognita : Voix de sang
6. Voix d’opale
7. Voix de nuit
8. Voix de nacre
9. Jardin des âmes errantes : Voix des
dombes
10. Voix du miroir ou de la terre qui
réfléchit
11. Noli me tangere
12. Carré des ancêtres : Voix de marbre
13.
Jardin
des simples : Langue de pierre
2 commentaires:
Je n'avais toujours pas lu.Ce matin, j'ai pris le temps, lentement, en savourant les mots. Merci
Je ne l'avais pas lu depuis longtemps et finalement je l'aime à nouveau (grâce à toi, Ange-Gabrielle)
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