Je vais faire sang
Avec elles
Faire sang en me glissant
dans la ramure
dans la lignée,
sans armure.
Dans les poumons il flâne,
parmi l'être-famille je fourmille
;
dans les bronchioles
des petites bouffées de respiration asthmatique
pour la peur du chien de l'enfant trop
aimée,
affluence du sang rouge bleu noir,
Charrier les gènes
dans l'oxygène, nourrir jusqu'à la pointe les feuilles de cet arbre plusieurs
fois centenaire
je vais faire sang et
me barbouiller des prénoms de mes grands-mères,
Rose-Marie et
Philomène,
Marie et Amélie,
Victoire,
Victorine, Victoria et Angélique,
Jeanne-Marie,
Françoise, Marie-Rose et Reine,
Marie-Marthe et Marie
Marie
Jeanne et Marguerite,
Me cacher dans leurs
jupes noires froufroutantes, y fleurir en roses, en reines, en marguerite
les garder dans mes
cheveux, victorieuses sous leur coiffe de dentelle qui laissait passer la
lumière et les péchés
Je vais étirer mes
membres,
multiplier mes
tentacules comme autant de racines jusqu'au ciel,
que je plongerai à mon
tour
dans le terreau des
générations dont je serai
l'Ancêtre
Vue du ciel comme un
fleuve en son delta,
comme l'Amazone aux
boues du bout
j'écris pour faire
sang avec elles, pour aller avec, je fais sang-action, je gicle et
j'éclabousse, même si elles sont moindres même si je sais que je ne les
connaîtrai sans doute pas de mon vivant.
Je ferai sang avec
Elles, et elle feront sans moi, juste avec ma mémoire
Combien de fois depuis
les premières douleurs rouges,
Combien de fois ai-je
fait sang ?
puberté fertilité
cycle reproductif
La douleur des pertes
la règle des 28
jours,
la lune en son pouvoir
de marée haute
36 ans de menstrues
multiplié par 12 ou 13
moins les mois de
gestation
-moins les fois où ça
rate, où la lune est mal lunée et la mayonnaise de tourner rond
ça faisait mal, il
fallait que je me couche, une bouillotte sur le ventre une
bouillotte sur les reins.
Calmer la douleur des
entrailles sans fruit, le mal de tête le feu aux yeux
et cela aussi, je l'ai
transmis. Enfanter dans la douleur, Ne pas enfanter dans la douleur aussi.
Et le soulagement que
ça fasse sang, quand ça n'aurait pas été le moment
Ouf ! Juste un petit
retard, une grande peur, Ouf! ne pas avoir été imprégnée, l'écoulement évitant
le pire au pire moment pour les pires raisons.
Et quand le sang n'est
pas venu, je suis devenue AVEC
Si je dis
"Je vais faire sang", c'est pour faire vivant vivant
En héritage, du côté
des hommes, le "couteau-à-tuer-le-rôti" de mon père, les pierres sur
le crâne de mon arrière-grand-père, fleurs de rocaille dans mon jardin
-hélichryse, immortelles, glaïeul, roses, cardinales- laver le linge
sale en famille, mettre le drap en nappe sur le pré, lire les traces
d'insectes, les ailes de papillons
Je n'ai pas toujours
suivi le fil rouge, les caillots, la vie était fragile et je courrais le monde
C'est bon froid aussi,
la vengeance
Je vais faire sang, il battra dans mes veines avec
les fantômes de toutes mes aînées, et si je ne parle pas des hommes qui y ont
mis du leur aussi, c'est qu'aujourd'hui et seulement aujourd'hui, ils ne sont
pas convoqués dans ce bain de sang joyeux.
2/1/2020
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